Suffren 32 : “Raymond  Verdaguer : Le Silence du graveur “ par Pierre Baqué, Paris  30/03/2013. CR de la réunion du 26/03/2013 au Cercle Suffren.

Suffren 32: “Raymond Verdaguer: The Silence of the engraver” by Pierre Baqué, Paris, 03/30/2013. Report of the meeting 03/26/2013, Circle Suffren.

le pressoir, linoleum cut, published by Iablis, Cologne, Germany. 

” A chacun de transformer ses blessures en points d’insertion pour des ailes  ” Jean Sulivan

Cette livraison 32 de SUFFREN est la trace d’une soirée rare, qu’un artiste français, vivant à New York, membre du Cercle Suffren, Raymond Verdaguer a accepté de partager avec nous. Son travail est a fois silencieux et hurlant. Les « cercles de plomb » qui enserrent les peuples, et qui nous occupent cette année, il les vit dans sa chair et les traduit dans les incisions douloureuses de ses gravures, fortes, brutes, anguleuses, où les membres déformés des hommes, des animaux et des arbres résultent de la confrontation entre la faiblesse des corps et la dureté des machines, machines mécaniques de la guerre, chimiques de la drogue, virales de la maladie, et, par métaphore, celles de la Société.

Le mode d’expression de Raymond est graphique ; il n’aime pas vraiment écrire ; mais quelle puissance dans son expression gravée ! Quelle unité dans son oeuvre, signature formelle de sa singularité ; chacun reconnaît un Giacometti ; chacun reconnaît une gravure de Verdaguer.

Raymond est un graveur politique. Tout son travail traduit, recompose, amplifie, les outrages du monde. La guerre, dans son effroyable brutalité, suscite l’acmé de sa révolte. La violence des images qu’il propose est souvent difficilement soutenable. Et tant mieux. Il réveille.

Certes les journaux dans lesquels il s’exprime sont éphémères, mais ils sont nombreux, nombreux en nombre de titres ( américains, français, espagnols, italiens, allemands, canadiens…) et toujours édités à des centaines de milliers d’exemplaires. Une page déchirée peut traîner dans un caniveau, son dessin continuera d’exprimer pour le vagabond qui le trouve. « Regarde petit homme » nous dit-il, ne détourne pas le regard, et si tu as vu, résiste, là où tu es, où que tu sois, que tu sois puissant ou que tu sois faible, que tu aies de l’influence ou que les forces te méprisent, ou simplement t’ignorent.

La subjectivité de son oeuvre n’a d’égal que son universalité.

La gravure de la page précédente ne peut que nous parler ; elle montre l’oppression que les hommes exercent les uns sur les autres, les actifs qui font tourner la presse, les opprimés qui subissent, les spectateurs passifs, et ceux qui s’exilent dans leurs tours pour ne pas voir, pas entendre, pas savoir. Et ce sont tous des hommes, et ils sont interchangeables, tour à tour oppresseurs et opprimés, inscrits dans un système qui les cerclent et les frettent. Vous pouvez y voir le capitalisme dans ses outrances, les boitiers métalliques de Weber ou les cercles de plomb de Suffren, le Taylorisme comme le Toyotisme, et les courses folles des reengineerings incessants qui dévastent les entreprises.

Reversing Fields, linoleum cut.

En 2011 nous avons exploré les figures de l’actionnariat. Au chapitre de l’actionnariat du sport, le dopage fut analysé : instrumentalisation extrême des humains que sont les « gladiateurs ».

Regardez cette gravure de Raymond Verdaguer qui illustre le dopage des étudiants dans les universités américaines ! si on va au bout de l’analyse, il a évidemment quelque chose à voir avec le financement des universités !

Les dopeurs comme les dopés ont la tête basse, soumise ; les futurs champions, qui monteront sur le podium et récolteront gloire un jour, sont déjà terrassés, inoculés, corrompus au sens de la corruption des corps et des âmes; et les bourreaux, eux, portent déjà les stigmates de l’enchaînement ; les seringues sont aussi comme des leviers qui déclencheront un jour le dynamitage de la Société, les jacqueries ou les révolutions à venir. Et tout ce monde a sa place dans le décor somptueux des tours, des colonnes et des frontons, celui de notre théâtre quotidien, de nos arrogants buildings, de nos lambris cossus et confortables, où les mots sont onctueux comme des sirops, et dissimulent sous leur drapés des fioles de poison.

Voilà donc une oeuvre critique, aussi critique que la sociologie critique ou que certains manifestes politiques. Et c’est évidemment, au-delàdes sentiments et des idées, la qualité d’expression de l’artiste qui arme la critique.

Elle fait écho à l’oeuvre de Penderecki en musique, où les dissonances magistrales construisent des cathédrales de douleur.

Elle fait écho à l’oeuvre des compagnies de danse Butô, ci contre, qui intériorisent dans les corps les souffrances humaines, et dont on sent qu’elles n’ont pas pris par hasard naissance au pays d’Hiroshima.

Les Nations Obscures. Ecosociete, Montreal. Linoleum cut.

Et cette oeuvre bruyante est conçue dans le silence d’un solitaire, qui parle peu, se montre peu, un homme tout de réserve, d’humilité, de gentillesse et de simplicité.

Même s’il dénie l’héritage du Guernica de Picasso, je me permets de placer dans ce sillage, au moins pour l’impact, l’oeuvre de Verdaguer.

Et quand nous parlerons de l’Afrique ( deux livraisons à venir, séance Amselle, et séance Surugue) des images de Raymond viendront naturellement. Quand nous parlerons de réseaux sociaux, une autre image encore…

Jean Sur a enregistré une série de DVD, que je continue de recommander aux membres du Cercle Suffren, et qui a pour titre « penser est un acte sauvage »1. Il y a de la sauvagerie bénéfique dans les gravures de Verdaguer. Peut être Bernard Surugue y verrait quelque chose des « maîtres fous » de Jean Rouch… Nous sommes heureux de compter parmi nous ce grand et modeste artiste qu’est Raymond.

…  

Copie de l’invitation à la soirée Verdaguer :

Chers tous,

Recevez mon amitié.

Dans mon introduction à la réunion d’hier soir avec Pascal Engel, sur Julien Benda, et ce sujet apparemment austère des “lois de la pensée” mais dont nous avons tous pu constater à quel point ses enjeux étaient aussi concrets que majeurs pour l’avenir politique de notre planète qui partait justement d’une citation de Benda et qui était illustrée par une gravure de Raymond Verdaguer notre très honorable correspondant à New York…

Or Raymond, de passage à Paris, vient de faire ce jour à l’Ecole des Beaux Arts une conférence sur son travail dont je sors à l’instant. Son titre : GRAVER EN URGENCE ( dans la grande pomme )

Je vous convie à une soirée improvisée mardi 26 mars autour de lui.

Qui est Raymond ?
C’est d’abord un corps qui souffre devant la souffrance des guerres, des épidémies, des dévastations qui l’intériorise, la ressent, de part en part, et qui, tel Penderecki dans les stridences de sa musique ou les compagnies de danse Bûto dans leur expressionnisme tendu à mort, grave des images, où s’exprime cette souffrance, pour des journaux ( New York Times p ex ) où elles illustrent l’actualité.

Illustrer n’est pas le bon mot Raymond n’est pas un illustrateur c’est un formidable expressionniste et ses figures incisives, simplifiées, fortes, denses, au fil des ans, constituent une œuvre cohérente, vaste, très personnelle, et à portée universelle comme la poésie.
Là est l’urgence, bien au delà des délais courts qui lui sont impartis.

Vous pouvez consulter cette œuvre sur son site www.rverdaguer.com.

Peut être un jour s’intéressera-t-il à nos cercles de plomb et à nos entreprises sans peau ?

Il dit “Graver c’est se taire, mais la gravure s’efface difficilement”
“Le journal est éphémère, sur son support de papier froissable et immédiatement jetable, mais le journal est nombreux, modeste, déchirable”

Graver c’est aussi simplifier, durcir, trancher, l’expression gagne en force.

De tout cela Raymond nous parlera mardi
Projections au programme

Pierre

Author texts © copyright Pierre Baqué, 2013.

Drawings linoleum cuts, photographs and texts © copyright Raymond Verdaguer, 2013.