carton d’invitation pour la conférence ‘Gravures à Vivre’

“Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage”

L’art Poétique,   Nicolas Boileau-Despréaux

Jeudi 18 Mars 2010: compte rendu sur ma conférence presentée à L’ Association Culturelle Francophone de New York; grace au concours de Organisation internationale de la Francophonie auprès des Nations Unies; 801, 2ème Ave à New York. Une Conférence consacrée à la gravure en relief accompagnée de projection.

Quatre femmes nues par Albercht Durer, 1471-1528

Comme chacun le sait [ou du moins le présume] la gravure remonte à une époque lointaine, très difficile à identifier dans le temps. Elle semble issue de la nécessité de communiquer la pensée, le savoir, et de développer une certaine forme d’esthétique. Cependant nous faisons erreur en pensant lui accorder seulement une place fixe dans le grenier poussiéreux du passé. Bien au contraire, elle reste très vivante et présente dans notre univers contemporain.

Il est d’usage bien établi d’associer la gravure en relief au nom de l’illustre artiste du 16ème siècle Albrecht Dürer, considéré comme le plus grand artiste allemand de la Renaissance. Ceci à juste titre car il a porté cette forme d’art à un niveau de qualité unique dans l’histoire de la gravure en relief, tant du point de vue technique [ taille du bois ] qu’esthétique [ la force de sa pensée, notamment à travers son interprétation magistrale des œuvres biblique ou de l’histoire de Jésus Christ]. Dürer nous offre une œuvre difficile à égaler et il l’accompagne d’une facture très personnalisée, au point d’en devenir très intimidante pour toutes ces générations à venir qui voudront s’essayer dans cette même forme d’art. D’une certaine façon on pourrait l’accuser de se l’être, en quelque sorte, malicieusement appropriée; un roi Attila ‘derrière laquelle [la gravure] ne repousse pas ‘… du moins si l’on choisit bien évidement de rester uniquement dans le cadre de la gravure occidentale.

Saint Georges et le dragon par Albercht Durer, 1471-152

Les conséquences de ces ouvrages lointains, ou du moins ceux qui sont parvenus à échapper à la destruction du temps et à gagner la faveur (ou la malédiction) d’être [ re ] découverts et préservés, sont plus profondes qu’on ne veut le reconnaitre. On pourrait les apparenter à des ondes de chocs qui se propagent à l’infini. Leurs répercussions font partie de notre univers quotidien, mais, au demeurant, nous continuons à rester les ‘messieurs’ Jourdain de la gravure car nous “en faisons sans le savoir” [Molière]…  la simple trace de nos pas sur le sable d’une plage, dans la neige, la boue… l’em-print-e de nos chaussures que l’eau solidifie en glace durant un rude hiver va révéler temporairement notre passage et, par la même occasion, la signification même de notre existence…

La gravure en relief ne se limite pas au travail du bois, mais on la retrouve communément dans le travail de la pierre, du métal, du verre, de l’os, de l’ivoire et aussi bien de l’argile, voire de l’art culinaire… La gravure, tout simplement, existe en tant que telle, et n’a pas été toujours conçue pour le seul effet d’être transférée sur un papier [ ces fameuses impressions dénommées estampes ] ou tout autre sorte de support. Sa présence est visible dans les applications les plus variées, qui du reste, ne sont pas nécessairement moins louables. Cela pourrait expliquer pourquoi, très injustement, on convie plus facilement une personne à venir visiter  ’sa collection d’estampes ‘  plutôt que sa collection de plaques de bouches d’égout ; prouvant une fois de plus que le manque d’imagination, tout autant que l’amour, rend aveugle.

gravure sur bois de Lucas Cranach

Graver c’est aussi le désir ( conscient ou non ) de laisser sa trace, ou espérer en laisser une. On retrouve cet indéniable désir à travers l’éclatante volonté de rendre hommage à une personne disparue, mais chère, grâce à l’inscription au burin sur des dalles de marbres datant du 18 ème siècle, besoin viscéral de nous rendre immortels ; ces mêmes dalles qui servent à l’occasion de tables à picnic, pour des étudiants de NYU, ou des touristes japonais penchant pour des nourritures Mac Do. Conçues à l’origine pour faire office de pierres tombales, on peut y lire prénom, nom et date, accompagnée de l’indication ‘vault ‘. Ces plaques éparpillées dans les jardins de St Mark’s Church dans East Village à New York ( au coin de la 10ème rue et la 2ème avenue) ne manquent pas de nous surprendre : 250 ans d’histoire nous regardent,  chiffre étonnant si on le compare à la moyenne de notre espérance de vie!

Un matériau dur (l’acier trempé) entame un matériau tendre (le marbre) ; de cette lutte inégale [à l’image même de notre existence], le matériau le plus ‘faible’ va prévaloir en fin de combat, rayonnant de beauté et d’adresse. A côté de cela, l’outil dur ( dépourvu de grâce ) tombera dans les oubliettes comme l’humain qui à servi d’intermédiaire pour réaliser l’opération … étonnant ?

croix de David et inscriptions dans la pierre sur le trottoir de la 2ème avenue

Presque en face, dans cette même avenue, juste à l’endroit où demeurait le célèbre Second Avenue Deli ( fréquenté entre autres par Yves Montand ), on trouve une série de dalles en pierres grises de forme carrées, gravées en relief, serties de cuivre. Elles sont encastrées dans le mortier du trottoir. Exposées aux intempéries et au piétinement abrasif de milliers de passants, elles présentent le motif d’une série en enfilade de croix de David ; avec des noms inscrit, qui se moquent de la destruction ; si bien que l’on peut très facilement transférer ces motifs et inscriptions en les frottant à l’aide d’une mine de crayon sur une feuille de papier posée au dessus , les rendant de ce fait lisibles. Des conflits de propriétaires ont conduit à la destruction de ce fameux Deli, qui fut remplacé (quelle imagination, quelle novation ! ) par une… banque. Et cependant, pour des raisons inexplicables, le trottoir ainsi que et les pierres gravées ont été elles, par contre, épargnées. Elles ont échappé miraculeusement à la délétère conséquence des conflits des hommes.

Con Edison casted iron plate New York

Cependant la gravure en relief que l’on continue à associer invariablement à la brillance d’un Dürer, à moins que ce ne soit à un échappatoire à notre propre mortalité, peut cependant retrouver sa forme primaire, humble, simple, et [ou] utilitaire souvent qualifiée de banale. Du reste, toujours sur cette même chaussée de la 2ème avenue ; cette fois serties dans le plus sale des goudrons, matière semi gluante chauffée par le soleil sous les effluves nocives des gaz d’échappement, couverte de papiers gras, de pommes écrasées, de vomissures d’ivrognes et d’urine de chiens, des plaques sont là,  qui nous venaient jadis des Indes, plus récemment de Chine et qui malgré leurs irremplaçables vertus de résister aux véhicules les plus lourds, sont considérées comme de vulgaires objets en fonte, sans le moindre intérêt. Elles peuvent être accompagnées d’éléments décoratifs, de logos, et du nom d’une compagnie qui exerce un service lié au fonctionnement vital de la ville [ électricité Con Edison, égouts de New York…] Certaines de ces plaques en fonte ont été conçues d’abord en gravant des bois, puis ont servi de modèles pour exécuter les moules de fonderie  de ces plaques.

Encore plus bas sur la 2ème avenue, on découvre d’autres exemples de gravures en relief : des numéros d’immeubles, des enseignes de commerce, des plaques de médecins, dentistes, avocats, vendeurs de hotdogs, de drap, d’alcool … d’autres plaques numérologiques et marque de voitures..

Auto portrait, gravure sur bois, Kirchner,1926 

De manière singulière, une gravure en relief, de notre naissance jusqu’à notre mort, va reste vivante, présente, inscrite dans nos rides et jusqu’au bout de nos doigts. Unique et personnelle, elle nous a été usurpée pour figurer dans des dossiers [ou des bases de données numériques] d’identification pour tous les gouvernements de la planète. Ce sont les fameuses em-print-es digitales…. puisque évidement la terminologie fusse-t-elle juridique, continue à confondre la matrice [dans ce cas le doigt] et sa révélation par l’encre, la feuille de papier, ou le scanner. Cette gravure en relief répond à merveille à l’ ‘emigratus’ pour tout bureau d’identification qui se respecte ; à moins que ce ne soit que la garantie de l’unicité du ‘moi’ afin qu’aucun d’entre nous ne puisse être confondu avec un autre que soi même! De ce fait nous laissons notre trace sur les lieux d’un crime, ou sottement en marchant dans le ciment frais d’un trottoir en réparation ! Dans les deux cas, la gravure [extrémité de nos doigts ou semelles de notre chaussure] diffuse/divulgue/révèle sans faille notre image ou une multitude de nos actions.

Au moment où les créateurs en tout genre sont enclins à s’approprier les plus récentes formes de technologie comme support de leur expression visuelle, pourquoi s’obstiner à vouloir avoir recours à cette technique «  ancienne » ? Le principe de la gravure, lui, n’a pas vieilli. Certes et malheureusement il nous faut constater que tout ce qui s’apparente à l’idée du mot ‘vieillissement’ reste tabou et banni par nos contemporains [ du monde occidental ] qui refusent de recevoir des enseignements issus de l’épreuve du temps. Ils préfèrent se laisser bercer par la propagande journalière et se brancher sur leur dernier i-pod qui promet d’imiter un semblant de visuel en 3 dimensions, entre autres à travers des formes de lettres remontant à Gutenberg, lettres devenues pastiches de nombreux tatouages ‘moderne’. Nous sommes sans cesse invités à nous droguer de ‘tendances’ visuelles, de ‘nouveautés’ technologiques ; le tape à l’œil l’emporte sur la ‘culture voltairienne de notre jardin’. Nous sommes tenus de respecter ce devoir quasiment civique: abreuvons nous au seul sein du divertissement léger, garantie échappatoire à nos misères journalières, à nos frustrations devenues chroniques.

  • En premier lieu, rarissimes, en effet, sont ceux qui ont pu examiner ‘une’ des gravure de Durer [ plaque de bois gravée et jalousement gardée dans le coffre d’un musée].
  • En deuxième lieu, plus nombreux, par contre, sont ceux qui on pu voir les estampes originales imprimées à partir de ses bois gravés.
  • En troisième lieu, bien plus nombreux encore sont ceux qui on eu la possibilitée de decouvrir des reproductions de ses estampes [dans des revues, catalogues, cartes postales, affiches…]
  • En quatrième lieu, pour une audience quasi illimitée, à travers la toile et le support d’un écran d’ordinateur, téléphone portable… etc!
  • Le cinquième lieu est pour demain… je vous rassure.

Certes la gravure en relief demande une certaine rigueur d’exécution, une qualité qui n’est pas négligeable du reste, pour compenser les images qui font  appel aux inlassables moqueries, dérisions, caricatures faciles et abêtissantes qui invitent de plus à une qualité médiocre, preuves d’un travail bâclé, d’un métier négligé ou tout simplement absent. Leurs farces grossières, qui n’a rien à proposer si ce n’est de nous enliser plus profondément dans notre propre abime, cette imbécilité imagée ‘qui sent le mauvais vin’ [jacques Brel] qui crée inlassablement des personnages à grosses tètes, à gros yeux “mignons” [ pastiches de Poulbot, même les Japonais s’y sont mis ! ] aux nez et oreilles démesurés, font partie du plat du jour de l’environnement visuel auquel nous sommes quotidiennement soumis.

Nos activités humaines pourraient bien s’accommoder de quelques ‘graveurs sans frontières’ afin d’opérer non pas la re-dorure du blason des arts, mais venir au secours d’un art malade et traiter le patient de manière digne. Surtout lorsque l’on évoque les épineux problèmes qui nous impliquent de manière fondamentale, tels que la guerre, la pauvreté, la maladie, le désarroi… On peut de toute évidence continuer à dessiner ‘une tète à claques’ pour éviter de représenter la compassion ou l’amour. Après tout, on à longtemps gavé la foule de cette ville de gros cœurs rouges saignants accompagnés des initiales “I” et “NY” sur fonds plastiques blancs qui finissent par venir flotter sur la rivière!  Preuve ultime irréfutable d’amour pour cette ville… Il n’est pas étonnant que le public considère les artistes comme des inutiles, des bons à rien, des parasites, il va en demeurer ainsi jusqu’au jour où les artistes vont ‘… retrouver l’amour et la fraternité .’ [ chanson de Serge Reggiani ] .

Guerre en Irak, gravure sur linoleum par RV, parue en double page dans le  Sunday New York Times, mars 2008

Si l’on exigeait d’un ‘artiste’ les mêmes qualités et la même intégrité que celles demandées à un artisan boulanger confectionnant un ‘humble’ pain, peut-être pourrait-on reconsidérer l’art dans sa fonction première de nourriture de l’âme et l’artiste regagnerait sa fonction première d’artisan . Car “l’homme ne peut se nourrir uniquement que de pain”. [proverbe populaire espagnol]Dans la tourmente d’un monde contemporain déstabilisateur, amant du ‘vite fait’, je n’ai pu trouver secours que dans un outillage abandonné mais solide ayant fait les preuves du temps. Ceci afin d’espère dominer ma fougue, m’éloigner d’une spirale destructive, faire de mon métier une vocation, et enfin tendre vers un sens de la mesure et de l’équilibre… au demeurant j’en suis encore à creuser mon bien humble sillon….

C’est avec une grande gratitude que je remercie l’Association Culturelle Francophone de New York, les membres du comité ainsi que les invités présents pour leur aimable accueil ainsi que pour m’avoir donne l’opportunité d’animer dans la langue de Molière une conférence consacrée au thème de la gravure en relief. Je remercie par la même occasion l’Organisation Internationale de la Francophonie pour sa très généreuse contribution….Pierre Baqué qui demeure à Paris a très généreusement  contribué à l’édtition de mon compte rendu et il l’a également independement publié le 9 avril à Paris, je le remercie pour son aimable soutient, voici une partie de son introduction:

Elle traite de la gravure immémoriale technique support de l’activité de Raymond qui le conduit à s’exprimer dans les plus grands journaux américains Redoutable technique aussi qui force à tenir compte, irrémédiablement, de tous les faux pas du passédes gestes accomplis erreurs souvent, et ne parvient à construire son dessein qu’en ajoutant de nouvelles maladresses aux maladresses initiales. Pour Raymond, en outre, elle dévoile sa sensibilité, sa révolte désordonnée certes, (mais qui de nous peut dire mieux ?) et son exigenceLisez ce qu’il lit dans les gravures des trottoirs sous les vomissures des no man’s land de la ville ou sous les déchets de Big Mac laissés sur les pierres tombales du passé ou dans les fanions absurdes qui feignent d’aimer New York ou au bout des doigts de chaque homme polycopiés dans les dossiers des administrations pour le meilleur souvent mais potentiellement c’est à dire presque sûrement pour le pire “

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